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Le Neruda nouveau est arrivé

mardi 3 janvier 2017, écrit par Eduardo Olivares Palma

Loin du biopic traditionnel, le film que Pablo Larraín a consacré au poète, militant et diplomate chilien, montre un Neruda plus complexe que l’icône littéraire ou politique auquel que sommes habitués. Sortie ce mercredi dans les salles françaises.

Revoilà donc Pablo Neruda dans des habits neufs !

Des habits neufs que la France découvrira ce mercredi 4 janvier avec la sortie du film du réalisateur chilien Pablo Larraín (1976), dont les précédents Tony Manero, No et El Club lui ont valu un succès croissant, y compris en France.

Cette France que Pablo Neruda a connu de l’intérieur lorsque, en 1939, il est chargé par le président chilien d’affréter un bateau destiné à mettre à l’abri des réfugiés espagnols que la France officielle de ces années-là ne traite pas de la plus belle manière. 2500 réfugiés traversent alors l’Atlantique à bord du Winnipeg, le bateau qui les mènera jusqu’à Valparaiso, la ville chilienne que Neruda appelle la « fiancée de de l’océan ».

10 ans plus tard, en 1949, Neruda retrouve un Paris d’après guerre où il est accueilli par Pablo Picasso et d’autres intellectuels et artistes qui l’accueillent au sein du Conseil Mondial de la Paix. Entretemps, Neruda a réussi a échapper à la persécution dont il a été l’objet de la part de Gabriel Gonzalez Videla, le président qu’il a contribué à élire et qui, peu de temps après, a mis hors la loi et persécuté ses anciens allies communistes. C’est la période où, dans le Canto General, écrit dans la clandestinité, Neruda s’adresse au "traître" en évoquant ses amis français et internationaux :

Comme elle est triste ta petite et passagère victoire !
Alors qu’Aragon, Erenburg, Eluard,
les poètes de Paris, les courageux écrivains du Venezuela
et d’autres et d’autres et d’autres sont avec moi .

C’est en effet l’époque à laquelle Aragon écrit sa fameuse Complainte de Pablo Neruda :

Je vais dire la légende
De celui qui s’est enfui
Et fait les oiseaux des Andes
Se taire au cœur de la nuit

C’est d’ailleurs la période que Larraín a choisi de traiter dans son film.

Un ambassadeur "nobelisé"

C’est en mars 1971 que Neruda retrouve une fois de plus Paris et la France. Il est investi cette fois-ci de la mission de représenter Salvador Allende et son gouvernement d’Unité Populaire. La tache est passionnante mais pas facile. Le bras revanchard des États Unis est long et Paris est au centre de négociations qui peuvent contribuer à soulager ou à étouffer la tentative chilienne de rendre compatibles le socialisme et la démocratie.

L’ambassadeur Neruda est en plein travail diplomatique en lorsque le poète apprend qu’il vient de se voir attribuer le Prix Nobel de Littérature. Qu’il recevra le 12 décembre avec un discours qu’il commence par un évocation des ces latitudes de ma patrie où m’on conduit des événements deja oubliés, qu’il faut traverser, car j’ai dû traverser les Andes à la recherche de la frontière de mon pays avec l’Argentine.

Ces paysages et ces latitudes sont, elles aussi, au coeur de ce Neruda où Larraín nous montre l’homme derrière le poète, le chantre dépouillé -au propre et et figuré - de ses habits de poète immortel ou de sa grandeur permanente d’icône intouchable.

C’est un homme vaniteux, égocentrique et par moments carrément petit qu’il nous propose, sans pour autant nier la réalité de sa grandeur et la sincérité de son engagement.

Comme dans la chanson de Jacques Brel, avec son (beau) film Larraín semble dire à Neruda, "...mais toi, tu n’es pas le Bon Dieu. Toi tu es beaucoup mieux, tu es un homme".

Même s’il s’agit d’un fiction et non pas d’un biopic, l’exercice est périlleux mais, me semble-t-il, salutaire, voire nécessaire. Surtout dans ce Chili qui a trop souvent du mal à regarder ses réalités en face.

Eduardo Olivares Palma